mercredi 26 novembre 2014

JEREMY WOOD "Traverse Me"



Jeremy Wood travaille dans le domaine de l’art public à partir d’une approche singulière de la lecture et de l’écriture des lieux. Il explore le potentiel esthétique de la technologie GPS depuis plus de 10 ans par l’expérimentation quotidienne de l’enregistrement des tracés générés par le déplacement des corps et des objets, à l’échelle locale et planétaire. Traverse Me, 2000 à 2012.

Serge Daney LA CARTE DES CARTES "Le cinéma et le monde"


L'atlas de géographie est la première image qui ait jamais compté pour Serge Daney. Grand voyageur, il mettra au point un stratagème dans lequel le goût de la carte rencontre une autre fascination, celle de l'image pauvre. Lors de ses voyages sitôt arrivé sur place, il achète une carte postale et l'envoie à sa mère. De retour à Paris, Daney se rendit chez sa mère, décrochait la carte envoyée et la numérotait. Puis le planisphère prend forme. Côté face, des photos communes s'offrent aux regards, photos qui circulent et tissent des liens entre point de départ et point d'arrivée. Côté pile, chaque message écrit devient la légende qui complète l'image sans l'expliquer. 

Serge Daney
né à Paris
Moi je crois que la première image qui a compté pour moi, l’image presque définitive, c’est pas une image de cinéma, c’est l’Atlas de géographie. Et pour moi une carte n’était jamais assez complète et
quand je trouvais une erreur, elle était disqualifiée. La carte n’est pas le territoire, comme dit Korzybski. J’sais pas moi quand Ourga devient Oulan-Bator, j’ai le sentiment que quelque chose s’est passé et qu’on ne m’en a pas parlé. Je suis assez furieux ! Bon voilà, le cinéma pour moi c’est pareil, c’est une promesse, c’est-à-dire c’est une promesse d’être un jour citoyen du monde.

Itinéraire d’un ciné-fils, entretiens filmés avec Régis Debray

Sources:
                    
                     Mappamundi Art et Carthographie , Guillaume Monsaingeon, edition Parenthèses 

Walter De Maria, The Lightning Field, 1977.




[…] Il n'y a pas de forme, puisque la forme est de l'immobile et que la réalité est un mouvement. Ce qui est réel, c'est le changement continuel de la forme : la forme n'est qu'un instantané pris sur une transition."
Henri Bergson, L'Evolution créatrice, 1907, Paris,PUF, 1959, p. 301-302

Michel de Certeau, L'invention du quotidien, I : Arts de faire, Collection Folio essais (n° 146), Gallimard, 1990.

" Être élevé au sommet du World Trade Center, c'est être enlevé à l'emprise de la ville. Le corps n'est plus enlacé par les rues qui le tournent et le retournent selon une loi anonyme ; ni possédé, joueur ou joué, par la rumeur de tant de différence et par la nervosité du trafic new-yorkais. Celui qui monte là-haut sort de la masse qui emporte et brasse en elle-même toute identité d'auteurs ou de spectateurs. Icare au-dessus de ces eaux, il peut ignorer les ruses de Dédale en des labyrinthes mobiles et sans fin. Son élévation le transfigure en voyeur. Elle le met à distance. Elle mue en un texte qu'on a devant soi, sous les yeux, le monde qui ensorcelait et dont on était "possédé". Elle permet de lire, d'être un Œil solaire, un regard de dieu. Exaltation d'une pulsion scopique et gnostique. N'être que ce point fuyant, c'est la fiction du savoir.
Faudra-t-il ensuite retomber dans le sombre espace où circulent des foules qui, visibles d'en haut, en bas ne se voient pas ? Chute d'Icare. Au 110e étage, une affiche tel un sphinx, propose une énigme au piéton un instant changé en visionnaire : It's hard to be down when you're up. " p. 140


" C'est "en bas" au contraire (down), à partir des seuils où cesse la visibilité, que vivent les pratiquants ordinaires de la ville. Forme élémentaire de cette expérience, ils sont marcheurs, Wandersmänner, dont le corps obéit aux pleins et aux déliés d'un "texte" urbain qu'ils écrivent sans pouvoir le lire. C'est praticiens jouent des espaces qui ne se voient pas ; ils en ont une connaissance aussi aveugle que dans le corps à corps amoureux. Les chemins qui se répondent dans cet entrelacement, poésie indues dont chaque corps est un élément signé par beaucoup d'autres, échappent à la lisibilité. Tout se passe comme si un aveuglement caractérisait les pratiques organisatrices de la ville habitée. Les réseaux de ces écritures avançantes et croisées composent une histoire multiple, sans auteur ni spectateur, formée en fragments de trajectoires et en altérations d'espaces : par rapport aux représentations, elle reste quotidiennement, indéfiniment, autre. " p. 141-142

" Marcher, c'est manquer de lieu. C'est le procès indéfini d'être absent et en quête d'un propre. L'errance que multiplie et rassemble la ville en fait une immense expérience sociale de la privation de lieu- une expérience, il est vrai, effritée en déportations innombrables et infimes ( déplacements et marches), compensée par les relations et les croisements de ces exodes qui font entrelacs, créant un tissus urbain, et placée sous le signe de ce qui devrait être, enfin, le lieu, mais n'est qu'un nom, la Ville. " p.155

Bruce Nauman "Walking in an Exaggerated Manner around the Perimeter of a Square" (1967-68)

https://www.youtube.com/watch?v=Qml505hxp_c

Chris Burden "Through the night softly" (1973)

https://www.youtube.com/watch?v=cxmy4aQ1dZY

Marina Abramovic et Ulay "The lovers: The great wall walk" (1988)

https://www.youtube.com/watch?v=zaso0j9x098

Sophie Calle, "La suite vénitienne" (1980)





Un inconnu que Sophie Calle suivait dans les rues de Paris lui est un jour présenté. Apprenant qu'il partait en voyage à Venise, elle décide alors de le suivre à nouveau à son insu. Il en résulte les diverses photographies et récits descriptifs de la filature.

Fayçal Baghriche "Le sens de la marche" (2002)

http://vimeo.com/14447395


Dans la vidéo "Le sens de la marche" le cours du temps s’est inversé. L’artiste immobile apparaît comme la seule figure raisonnable d’un monde qui marche à l’envers. Fayçal Baghriche est debout à un carrefour de rue, aucun signe ne le distingue des autres individus mais son immobilité génère une lecture distanciée et transforme la scène en véritable chorégraphie, l'attention se reporte sur la répétition des gestes des passants, sur l'absurdité d'une marche sans destination apparente et sur l'autorité des tra-
-jectoires induites par l'urbanisme. La société est stigmatisée pour sa dépense d'énergie et son aveu-
-glement dans sa course effrénée. La présence impassible de l'artiste au coeur de cette agitation urbaine nous interroge sur ce qu'il peut faire et sur l'inaction comme méthode susceptible de perturber un système.
Keren Detton

Long March Project de Qin Ga


Né en 1971 en Mongolie intérieure, Qin Ga reste mystérieux malgré plusieurs expositions à travers le monde, et notamment dans «Voice of the Unseen» à la Biennale de Venise jusqu’au 24 novembre. En 2002, il décide de reprendre, pour le conclure, un projet lancé par le collectif «Longue Marche». Il s’agit d’abord de parcourir physiquement (sans se limiter à la seule marche à pied) les 5 000 kilomètres restants, en franchissant des montagnes de 5 000 mètres de haut dans des conditions extrêmes. Qin Ga retrace et revit ainsi l’épisode fondateur de la République populaire de Chine, la Longue Marche entreprise par Mao et ses fidèles de 1934 à 1936. 

Lieu de mémoire(«lieu» n’ayant pas ici de sens géographique), cet événement joue le rôle pour la Chine à la fois de Déclaration d’indépendance américaine, de prise de la Bastille française et de décapitation du roi Charles Ierpar ses sujets anglais. Mais cette marche fondatrice est aussi un épisode hautement géographique qui organise, en 12 000 km, un beau croisement avec la Grande Muraille, sorte de «trait cartographique à l’échelle 1».

Il n’y avait pour Qin Ga ni apologie de Mao ni détournement ironique, mais simplement la volonté de s’inscrire dans une histoire, une géographie qui le dépassaient. «Lorsqu’on entre dans une histoire organique et dans un espace public si gigantesque, cela implique une perte de contrôle : les éléments ne vous appartiennent plus, les réactions, les personnes, les souvenirs se télescopent en tous sens.»

Au départ de cette marche, Qin Ga se fait tatouer sur le dos un fond de carte de Chine pour ajouter un point à chaque nouvelle étape de son périple. Pourquoi ces souffrances ? Pis-aller ? Expiation ? Hommage aux souffrances de l’armée rouge ? Cette marche s’inscrit-elle dans la filiation des artistes du Land Art, dans la redécouverte des vertus esthétiques de la marche ?

Difficile, pour nous autres Occidentaux, de ne pas songer au personnage doublement fondateur d’Atlas : figure mythologique condamnée à souffrir en soutenant les cieux pour les séparer de la Terre, Atlas devint à la Renaissance le nom commun donné à un système de cartographie extrêmement normée et mise en livres. Qin Ga accepterait-il la comparaison ? On peut toutefois avancer avec certitude que, si le personnage d’Atlas passe pour avoir été un peu simplet, cette œuvre et le travail de Qin Ga constituent une redoutable entreprise, à la fois émouvante et éprouvante qui porte sur le corps de l’artiste autant que sur le corps collectif du pays.
Sources :
      http://www.liberation.fr/culture/2013/10/03/longue-marche-tatoue-sur-le-dos_936810
      http://www.amazon.fr/Mappamundi-Art-cartographie-Guillaume-Monsaingeon/dp/2863642766



Extrait: Le cours des choses, Peter Fischli et David Weiss, 1987

Voyage autour de ma chambre, Olivier Smolders 

film immobile , 26', HD & 35mm, couleurs, Dolby Digital

Retiré dans sa chambre, un cinéaste parle des territoires et des voyages, réels ou imaginaires, qui l'ont fait ou qui l'ont défait. A partir d'images récoltées au fil des années, Voyage autour de ma chambre interroge d'une façon poétique la difficulté de chacun à trouver sa juste place au sein du monde.


Paul Auster, Trllogie new-yorkaise, p. 106-107

Manifeste du groupe Stalker, Laboratoire d'Art Urbain. source: Stalkerlab